En 2005, dans un amphithéâtre de l’Université Paul Sabatier où j’étudiais en STAPS, deux étudiantes de 1ère année m’encouragent à les rejoindre à la section FNSU[1] rugby. Je ne savais pas à quel point cette première rencontre allait transformer mon avenir.
Mes premiers pas sur la pelouse du stade de Struxiano à Toulouse, coaché par Nono, ont été une révélation. Après deux ans de pratique à la fac et en club je me sentais transformée. J’existais au travers de ce sport qui me valorisait, m’ouvrait des portes en me permettant une véritable intégration dans la ville rose où je ne connaissais personne…
J’ai pris conscience de la force du rugby, ce sport de combat que les filles ne « doivent pas pratiquer » car il est trop « viril et brutal ». Ces questions je ne me les posais pas et j’avançais là où d’autres femmes n’osaient pas franchir le pas de peur d’être stigmatisées.
Depuis, j’ai joué trois Coupes du monde, 10 Tournoi des six nations, fait des heures d’entraînements sous la pluie, le soleil, à Toulouse, Paris, Toronto, Edimbourg, Los Angeles, rencontré des entraîneurs, des joueuses, des dirigeants, des présidents du monde entier et une de mes plus belles rencontres fut celle de l’association Rebonds! en 2008.
A l’époque, Rebonds! souhaite développer un projet spécifique à destination des jeunes filles des quartiers prioritaires, en partant d’un constat simple : Rebonds! accompagne 50 jeunes en club de rugby et, parmi ces jeunes, il n’y a qu’une fille !
J’ai donc 20 ans et je suis recrutée pour être éducatrice socio-sportive et ensemble, on développe le projet de « l’Essai au Féminin ». Il répond à un objectif simple : « permettre à des jeunes filles, issues de milieux sociaux défavorisés, d’accéder, elles aussi, à ce sport qui peut transformer leurs parcours de vie ». Des séances de rugby exclusivement féminines sont mises en place dans les quartiers toulousains les soirs de semaine. En 2009, une dizaine de filles participent, 10 ans plus tard elles sont 350 à fouler les terrains des quartiers prioritaires avec l’envie de plaquer, d’avancer et de s’amuser.
Tout au long de mon parcours, j’ai rencontré ces papas qui ne voulaient pas que leurs filles deviennent grosses en jouant au rugby, ces mamans qui ne savaient pas que ce sport était autorisé aux filles, ces politiques qui pensaient que les femmes devaient plutôt faire des sports « féminins », ces entraîneurs qui se demandaient s’ils devaient sous classer les filles que j’amenais en club ou encore leur apprendre à plaquer…
Mais surtout, je me souviens de la petite Lucy 8 ans, mal dans sa peau depuis toute petite, qui, une fois le ballon dans les mains, devenait une petite fille souriante et heureuse. Elle aussi était transformée par son costume de joueuse de rugby. Ou bien Yasmine qui comprit très vite que le rugby lui permettrait de sortir du quartier, et de pouvoir exister dans d’autres milieux sociaux. Ou encore Priscillia, « l’enfant lune, fragile, cocoonée à la maison » qui dit un jour à son éducateur « j’ai joué au rugby à l’école avec Rebonds!, j’aimerais continuer à jouer». Sans compter Andréa, complexée par son surpoids, qui trouvait enfin sa place dans un sport qui la valorisait.
Aujourd’hui, Rebonds! initie 7000 jeunes sur des cycles éducatifs rugby, accompagne sportivement et socialement 138 jeunes dont 47 filles. Ce projet à son échelle locale est une véritable réussite, un exemple à suivre pour transformer le parcours de vie de ces jeunes filles qui n’auraient pas osé s’engager seules dans ce sport.
En 2017, lors d’un match télévisé avec mon club, j’ai joué aux côtés d’Océane la toute première jeune fille que j’ai emmenée en club, la boucle était bouclée. Son sourire ce jour-là et la femme qu’elle est devenue aujourd’hui ne peuvent que confirmer l’importance de se donner les moyens de transformer aussi « l’Essai au Féminin »…
En 2019, le rugby féminin est bien plus visible et reconnu du grand public grâce à une médiatisation naissante et de belles performances sportives de l’équipe nationale. Cet engouement encourage les jeunes filles ou femmes à se lancer dans l’aventure sans se sentir stigmatisées.
Néanmoins, des inégalités profondes demeurent encore. Seulement une soixantaine de joueuses internationales françaises bénéficient d’un statut professionnel ou semi-professionnel, avec la fédération. Leurs salaires sont encore bien éloignés de ceux de leurs homologues masculins alors que le temps consacré est le même et les résultats meilleurs. Quant au statut des joueuses de clubs de TOP 16, il y a encore tout à faire…
Manon André
[1] Fédération Nationale du Sport Universitaire