Bonjour Alain, peux-tu nous parler de toi ? et de ton parcours professionnel ?
Je suis né d’un père catalan et d’une mère corse et j’ai vu le jour complètement par hasard dans l’Aveyron. Mon père a eu une mutation professionnelle qui nous a amené à Castres, ce qui m’a fait indirectement rentrer dans le monde du rugby.
Pour le rugby : c’est Alain Gaillard qui était mon entraîneur au Castres Olympique et qui est une figure emblématique de la Ville de Castres. Un sacré personnage qui est devenu un ami au fil du temps. C’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’admiration, comme pour de nombreuses personnes avec qui j’ai travaillé. Je n’ai pas été un joueur flamboyant, j’étais plutôt « un laborieux » mais il paraît que les artistes ont toujours besoin de laborieux, dans le sport comme dans la vie.
Au lycée j’ai eu mon bac dans les années 1980. Je n’ai pas pensé à faire autre chose après mon diplôme, simplement parce que quand j’ai eu mon bac, je suis rentré au laboratoire Fabre. Symboliquement on passait tous aux laboratoires Fabre et certains amis y sont restés avec des jolis parcours.
Mon père était président d’une association dans le Tarn, ce qui fait qu’il connaissait quelques directeurs d’établissements. J’ai donc pu faire mes premières colos durant les vacances. Et puis il y a eu des besoins supplémentaires, j’ai donc été recruté en tant qu’encadrant. C’est une période où on pouvait rentrer dans le médico-social sans forcément avoir de diplômes. J’y suis rentré puis je n’en suis plus jamais ressorti. J’ai commencé par des remplacements, puis j’ai passé une sélection pour entrer en école d’éducateur spécialisé. J’ai intégré Saint-Simon en 1982 où j’ai rencontré Patrick RIBET (autre administrateur de Rebonds!). Nous y avons passé trois ans ensemble et après j’ai eu mon diplôme d’éducateur spécialisé : j’ai alors enchaîné les différentes missions, toujours avec des adolescents en difficultés.
En 1997, j’ai pris un poste de Chef de service dans le Gers, et j’y suis resté jusqu’en 2017 où j’ai terminé directeur adjoint en Institut de Rééducation, puis en DITEP. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Rebonds!, en envoyant les équipes sur les premiers Challenges Nationaux inter-DITEP, puis quand on a organisé le tournoi à Auch en 2008.
Dès lors j’ai commencé un peu à penser à la retraite et puis j’ai eu une proposition d’un copain autour d’un apéro, un jour comme ça : « Tiens il y a un poste de formateur tu ne penses pas que ça serait intéressant de transmettre ? Tu parles de valeurs mais bon tu ne t’y colles pas vraiment…». Je me suis retrouvé à postuler l’été dernier dans un centre de formation d’éducateur spécialisé à Castelnaudary (La Rouatière).
Avais-tu un engagement associatif spécifique avant de rencontrer l’association Rebonds! ?
Non, absolument pas. Disons que j’ai toujours eu beaucoup d’engagements politiques et sociaux, mais l’engagement associatif est venu comme ça, au moment où j’ai rencontré Rebonds!. Quand l’association à voulu s’implanter dans le Gers, Sanoussi DIARRA (co-fondateur, et délégué au développement) m’a appelé et m’a dit : « J’ai pensé à toi pour être administrateur ». Depuis que Dominique MALHAIRE (président de Rebonds!) a pris la présidence, il demande un certain engagement de la part des membres qui composent la vie associative, ce qui me paraît tout à fait normal.
Quel doit être le rôle du Conseil d’Administration pour une association comme Rebonds! selon toi ?
Cela dépend comment est considéré le travail d’administrateur. Dominique est exigeant avec nous, et je trouve que c’est réellement important, en tant qu’administrateur : on ne peut pas s’engager juste « partiellement ».
Quand j’étais directeur adjoint, j’avais besoin de rencontrer les gens, je n’étais pas tout le temps à mon bureau. Je ne peux pas concevoir les choses si je ne les vois pas, j’ai besoin d’être au contact. J’avais besoin du terrain.
A Rebonds! cela fonctionne à peu près pareil, que ce soit dans le Tarn avec Florian GIMBERGUES (responsable territorial Tarn et Tarn-et-Garonne) et Esther ITIER (coordinatrice sociale Tarn et Tarn-et-Garonne), ou dans le Gers avec Antonin MARET (responsable territorial Gers, Comminges et Hautes-Pyrénées). C’est convenu avec eux : si un jour ils ont besoin d’un coup de main, je le fais, je participe à des tournois : j’enfile le short, les chaussettes et j’y vais !
C’est pour cette raison que passer du temps sur le terrain est primordial. Quand il faut se rendre à un rendez-vous auprès de partenaires institutionnels, tu es le relais, le représentant de Rebonds!. Il faut savoir de quoi on parle : comment sont conçus les cycles, comment on met en pratique sur le terrain…
Tu parlais de ta rencontre avec Rebonds ! et notamment de équipes que tu as pu envoyer aux premiers Challenges Nationaux inter-DITEP. Qu’est-ce qu’ils représentent pour toi ?
Ma rencontre avec le rugby et avec Alain Gaillard, ça m’a un peu sauvé la vie, ça m’a permis d’avoir un cadre.
Je me suis toujours dit que les enfants avec lesquels nous travaillons sont plus à l’aise avec le « non » qu’avec le « oui », par ailleurs, ils n’ont pas réellement de cadre. Le rugby ça reste un sport de combat. Je n’aurai pas emmené des enfants de DITEP jouer au rugby si ce n’était pas encadré comme Rebonds! l’organise.
La première fois que j’ai rencontré Rebonds!, c’était sur un Challenge National inter-DITEP , Sanoussi arbitrait, et je le voyais expliquer aux jeunes de manière très pédagogue et toujours avec ce même fil conducteur : le fair-play et la coopération. Juste sur ce tournoi, j’ai compris le sens et la portée des actions que Rebonds! proposait, les valeurs, l’engagement… Je me reconnaissais dans Rebonds!, alors je suis resté. Voilà comment j’ai rencontré réellement Rebonds!. Un premier tournoi, puis un second, et un jour on s’est dit pourquoi c’est toujours aux autres d’organiser, il faut s’y mettre nous aussi.
On s’est donc attelé à l’organisation d’un Challenge National sur Auch : à l’époque on était un peu inconscient, on ne sait pas rendu compte de l’ampleur de l’évènement. On a organisé de nombreux comités de pilotage. Mais au final ça a été une année extraordinaire, de penser cet évènement à envergure nationale et de le mettre en marche. Ce qui est génial c’est que nous étions un établissement en perte de sens et l’organisation du tournoi a ressoudé une grande partie des salariés parce qu’il y avait un objectif, une finalité derrière. Travailler sur un projet ensemble où on ne pouvait pas avoir des points de discorde a fédéré les salariés en nous permettant de repartir sur de meilleurs bases.
Selon toi qu’est ce qui les rend si intenses, ces Challenges Nationaux ?
C’est un évènement de trois jours, il y a toute une philosophie derrière, tout le monde est ensemble. Il y a l’arrivée, le camping, la soirée festive, le tournoi. Au premier abord cela peut sembler insensé d’organiser un évènement pareil : une cinquantaine de DITEP (Dispositif Institut Thérapeutique Éducatif et Pédagogique), ça veut dire 400 enfants… La logistique est hors normes : prévoir la nourriture sur 3 jours pour pratiquement 800 personnes, trouver un terrain qui accepte d’accueillir cet évènement. Chaque année c’est une mission impossible que l’on réalise, et ça, c’est génial. Même si cet évènement est annuel, ce n’est jamais facile, cela redemande à chaque fois la même dose d’investissement et de démarches. La seule différence demeure dans la structuration, l’existence d’un cahier des charges qui n’existait pas auparavant et qui demandait plus de bricolage. On sait par quoi commencer et par quoi finir.
Est-ce que les cycles éducatifs menés toute l’année favorisent la mise en place du Challenge chaque année ?
Même avec ça c’est compliqué, le challenge, chaque année, plus tu avances dans la journée plus tu gagnes des matchs et plus tu sens que les enfants ont envie de gagner… Il faut savoir gérer cette frustration-là, notamment quand ils perdent (jeunes comme encadrants).
Ça marche aussi grâce à la qualité de l’arbitrage de Rebonds! qui est pédagogique et qui transmet automatiquement ces valeurs de fair-play et de coopération ainsi que la qualité de l’organisation qui se transmet chez les salariés et les bénévoles. Aujourd’hui c’est Thomas BELLAN (directeur adjoint). Avant c’était Sanoussi puis Jules. Il y a une histoire qui se perpétue et qui se transmet, c’est ça qui fait que cela fonctionne. Ce n’est jamais l’idée de faire mieux qu’avant qui anime, mais l’idée de faire bien à chaque fois.
S’il n’y a pas ce travail derrière ça ne peut pas marcher. Quand tu arrives au Challenge, le premier pilier c’est la réunion après le repas du premier soir : avec les éducateurs qui encadrent les enfants pour faire un rappel sur les règles élémentaires et les rôles à tenir. Car s’il manque un petit bout de ce tout, ça ne marchera pas. Avant les matchs, pendant les matchs, après les matchs, c’est cette pédagogie omniprésente qui permet la réalisation du challenge.
La vigilance doit rester la même, on est toujours sur le qui-vive en tant qu’encadrant, en tant qu’arbitre, envers le public et les spectateurs. Parfois des points sont enlevés car ce sont les éducateurs qui oublient leur rôle à cause de l’intensité. Il faut alors leur faire comprendre qu’ils ne peuvent pas leur demander de bien se comporter (aux enfants) si eux-mêmes ne le font pas.
Le sport ne transmet donc pas des valeurs naturellement, il reste un outil dont on doit se servir pour transmettre des valeurs éducatives ?
Ce n’est pas qu’un tournoi de rugby, ce n’est pas qu’un Challenge National Inter-DITEP, c’est vraiment de l’éducation, c’est être capable de transmettre des valeurs. C’est un métier où il faut toujours être attentif, tu ne peux pas te permettre d’être supporter, entraineur et te laisser déborder par les émotions. C’est ça qui est intéressant dans le Challenge : il sert tout le monde, les éducateurs comme les enfants.
Peut-on considérer ça comme l’un des plus beaux avènements de l’association ?
Je ne sais pas si c’est l’« avènement » de Rebonds!. Quand j’ai connu l’association il n’y avait que les cycles éducatifs rugby. Aujourd’hui il y a une palette qui est beaucoup plus large avec l’Insertion Professionnelle, l’Essai Au Féminin et je pense que c’est un tout. Le challenge, je dirais que c’est la cerise sur le gâteau car c’est un évènement qui demande énormément de travail. Mais il ne peut pas y avoir que ça de symbolique, c’est toutes les réussites autour qui permettent son succès. C’est comme au foot, au rugby : il n’y a pas de monde professionnel sans le monde amateur. Le Challenge se présente un peu comme la marque de fabrique mais pour qu’il demeure, il a besoin du reste. Les tournois des écoles sont aussi des évènements marquants parce qu’ils sont le fruit qui a mûri de tous les cycles menés tout au long de l’année. L’an dernier je suis passé dans le Gers récupérer des amis puisque j’ai encore des relais dans ce département : ils m’ont confié avoir été bluffés par le tournoi de Blagnac, de voir tous ces enfants réunis le temps d’une journée.
Pour revenir sur ton rôle au sein du Conseil d’Administration, et tes missions avec l’équipe du Tarn, peux-tu nous expliquer comment cela se traduit ?
On en a beaucoup parlé avec Dominique ainsi que Jules. La question principale était : qu’est-ce que vous attendez de moi ?
Ma conception de l’administrateur c’est d’être vraiment présent avec eux (l’équipe du Tarn). On se voit régulièrement, on s’appelle régulièrement, on se concerte avant de prendre des décisions ou de se répartir du travail, c’est une stratégie commune. J’ai de la chance de travailler avec une super équipe, qu’on a pu mettre en place avec Florian. Je fais donc tout pour être présent avec eux : pour connaitre leur travail, pour comprendre leurs besoins. J’essaie de me rendre à leurs réunions pour faire des points réguliers et pour mieux comprendre leurs problématiques et celles que peuvent rencontrer les jeunes accompagnés par l’association. Je suis à l’écoute de ceux qui sont sur le terrain et j’essaie d’apporter mon aide. Voilà comment se traduit mon rôle d’administrateur pour l’équipe du Tarn.
Nous sommes arrivés dans le Tarn pendant la COVID-19, ce qui nous a permis de préparer le terrain : Florian a rencontré la plupart des acteurs locaux avant même le lancement. Chaque membre de l’équipe étant du nord du Tarn, nous avons naturellement commencé à développer cette zone. Nous avons d’abord construit avec les partenaires présents. Aujourd’hui, nos locaux sont à Graulhet, et nous étendons progressivement notre présence. Je participe régulièrement aux tournois scolaires dans le Tarn et le Tarn-et-Garonne selon les besoins.
Comment toi tu perçois les opportunités de développement notamment sur ces territoires-là ?
Même sur des zones dites « rurales » nous restons majoritairement dans les zones urbaines : Castres, Graulhet et Albi puisque que cela reste dans des espaces ou il y a un réel besoin.
Nous avons désormais une belle boite à outils que nous sommes en train de compléter petit à petit. Il y a beaucoup de demandes mais on ne peut répondre à toutes… Nous sommes face à de nombreuses sollicitations auxquelles on ne peut répondre à l’heure actuelle, car il faut premièrement consolider les actions mises en place avant d’en développer de nouvelles.
L’objectif est toujours d’essayer de voir en fonction des demandes, voir si nous sommes en capacité d’y répondre favorablement et de répondre aux besoins et aux territoires. C’est aussi là que l’administrateur peut faire remonter les sollicitations, notamment au Conseil d’Administration.
Cela génère un peu de frustration, mais ça fait partie du jeu et il faut avant tout savoir être raisonnable. On ne peut pas se plaindre des nombreuses demandes, mais il faut parfois savoir dire non. Quand on me ferme la porte, j’essaie toujours de passer par le « vasistas ». Rester raisonnable c’est aussi pour ne pas perdre cette fibre qualitative qui anime Rebonds!. Si on se lance dans quelque chose, on doit le faire bien et jusqu’au bout. Il n’y a donc pas de place pour la précipitation.
Comment perçois-tu le socio-sport et les valeurs qu’il permet de transmettre ?
Le sport, la culture, peu importe le média et l’outil, le plus important c’est ce qu’on peut en faire, comment on le manipule, comment on l’utilise. D’où le terme outil.
Le socio-sport et c’est ça qui est magnifique, c’est qu’il y a tout à construire, c’est ça qui est passionnant et il faut des associations structurées pour transmettre ces vocations.
Concernant le socio-sport, c’est toute la place que Rebonds! doit prendre et elle a tout à y gagner. Cela se fait déjà d’ailleurs, à Nantes, tous les ans, et avec le programme Impact Social par le Sport. Ce sont des acteurs qui font des choses hors de l’ordinaire, que personne ne fait sur le terrain et qui fédèrent un certain nombre de choses. C’est ça qui est intéressant, et qu’il faut creuser pour le faire vivre.
Parle-moi du rugby, quel est ton lien avec ce sport ?
Les premières choses auxquelles tu t’attaches, ce sont les souvenirs. Moi le souvenir, c’est mon grand-père, déporté en Allemagne et en Pologne, a monté une équipe au Stalag. C’était quelque chose pour lui le rugby. Ce sport m’est venu comme ça. C’est parce qu’on a toujours envie de s’identifier à quelque chose et donc pour moi c’était “je ferai comme Papi”. Et là je me suis rendu compte que mon père, lui jouait à 13 et avait été à l’époque international militaire avec le 13 Catalan.
Quand nous sommes arrivés à Castres, j’ai naturellement pensé au rugby. Alain Gaillard montait une équipe et je suis arrivé. Cela m’a toujours suivi, même à l’école d’éducateurs où nous avions une équipe avec pas mal d’anciens, de Castres, d’Ariège et de l’Aveyron. Quand j’ai arrêté de jouer, j’ai toujours continué dans le club du coin, à des niveaux divers. J’ai une histoire de plaisir avec ce sport, même sans compétition.
A Castres, on s’entrainait deux fois par semaine et on faisait de la musculation une fois par semaine. Aujourd’hui ils y sont tous les jours, ça s’est professionnalisé. Parfois on pouvait faire deux matchs par week-end. Aujourd’hui il y a un suivi médical, ils sont mieux accompagnés. C’est un sport qui a su évoluer et s’est structuré.
Le rugby c’est une religion, ça m’a éduqué ça m’a porté, élevé comme personne, et après tu peux rajouter à ça les expériences de la vie. A un moment dans ma vie, le rugby était devenu une famille. Les miens étaient plutôt absents et se sont occupés de ma sœur en situation de handicap. Ma mère m’a toujours dit « tu as grandi comme une herbe folle ».